L'École Intégrée des Sourds de Porto-Novo

La langue des signes : de ses origines à nos jours

La langue des signes, cette merveilleuse langue qui se parle avec les doigts et s’écoute avec les yeux a une belle et impressionnante histoire qui vaut la peine d’être connue. Contrairement à ce que pensent beaucoup de personnes, cette langue n’est pas créée par les personnes entendantes mais plutôt par les sourds eux-mêmes.

À l’origine de cette langue étaient les moines de l’Espagne

Pendant des siècles, des personnes sourdes ont été laissées pour compte et considérées par la société comme des sous-hommes, voire des « inéducables ». Les parents, à la fois honteux et affligés de la naissance d’un sourd-muet, le dérobaient à tous les yeux. Mais l’Espagne brisa ce mythe au 16ème siècle. Comment ? Dans les monastères où le silence était un principe religieusement établi, les moines ont imaginé un langage et un alphabet spéciaux qui leur permettaient de communiquer entre eux sans parler. Rapprochant leur situation dans les monastères de celle des sourds, le moine Pédro Ponce de Léon eut l’idée d’utiliser ce langage inventé dans les couvents pour apprendre à lire et à écrire aux sourds. L’expérience fut concluante. Mais malheureusement il mourut en 1584 et ses successeurs eurent du mal à continuer et à améliorer l’œuvre entamée.

Les personnes sourdes à nouveau en difficulté

Les personnes sourdes connurent à nouveaux des périodes critiques et difficiles. Isolées de la communauté, elles ne participaient pas pleinement aux échanges oraux et bénéficiaient seulement d’informations réduites adressées spécialement à elles. Elles essuyaient les pires injures et furent traitées de tous les maux : « des incapables », « des idiots du village », « des chiens »…etc.

Platon et Aristote compliquent davantage l’existence aux sourds

La vérité est que, c’est pendant cette période de dures épreuves pour les handicapés auditifs que, dans la Grèce Antique, le très célèbre et populaire philosophe Platon, mouilla l’opinion avec le concept « logos » qu’il désignait à la fois par « la parole » et « la raison ». Selon lui, celui qui ne parle pas ne peut pas raisonner. Son meilleur disciple Aristote viendra enfoncer le clou en disant que : « les sourds sont irrémédiablement inéducables ». Autrement dit, il n’existe pas de remède possible à utiliser pour instruire un sourd. Le sourd est inéducable et restera inéducable car poursuit-il, « le langage est la cause de l’instruction ». Or, le sourd n’en possède pas. Dans son ouvrage intitulé De la sensation et des sensibles, Petit traité d’histoire naturelle, Les Belles Lettres, Paris 1953, Platon, va jusqu’à comparer le sort des aveugles à celui des sourds et affirme que même « les aveugles-nés sont plus intelligents que les sourds-muets ».

Une nouvelle page s’ouvre avec la naissance de la dactylologie

Une riche et nouvelle page va s’ouvrir pour les personnes sourdes à partir de 1620 où Bonet inventa l’alphabet manuel dont sera dérivée la dactylologie, principal instrument de base pour l’enseignement des handicapés auditifs. Il se servit de ce manuel pour enseigner aux sourds les sons du français parlé. Un autre entendant viendra s’appuyer sur cet alphabet pour perfectionner l’enseignement des sons du langage parlé. Il s’agit du français Jacob Rodrigue Pereire. Le sourd touche la gorge du professeur Jacob et essaie d’imiter à la fois les vibrations qu’il sent et l’articulation des organes qu’il voit. Ce procédé continue de s’appliquer jusqu’à nos jours pour rééduquer la parole. C’est à cette période que fut forgé le terme « démutisation » qui entra aussitôt dans les dictionnaires et décrit les méthodes de Jacob Pereire.

L’abbé de l’Epée, le messie des personnes sourdes

Mais celui dont le nom restera plus que jamais gravé dans la mémoire des personnes sourdes et des enseignants pour sourds, c’est bien sûr l’abbé de l’Epée. De son vrai nom Charles Michel de l’Epée (1712-1789), ce personnage s’est souvent opposé à la hiérarchie de l’église sur des sujets variés. On se demande s’il ne cherchait pas des idées nouvelles pour susciter des controverses. Et les controverses qu’il va créer à propos des gestes et de la parole l’ont rendu célèbre et ont fait de lui le personnage principal, la première référence en matière de la langue des signes et de l’éducation des sourds. Il n’a pas inventé la langue des signes comme certains le croient et il n’est pas non plus le premier à avoir éduqué les sourds. Cependant, il est le premier à baser l’enseignement des sourds sur des gestes qui provenaient des sourds eux-mêmes. Il confirme que les gestes pourraient exprimer la pensée humaine autant qu’une langue orale. Voilà ce qui est étrange et qui mérite d’être salué chez l’abbé de l’Epée.

L’abbé de l’Epée apprend la langue des signes et crée la première école des sourds

Il rassemblait des enfants sourds dans une école qu’il créa. Son but, outre de « sauver ces petites âmes » comme il a coutume de le répéter lui-même, était de les « éduquer ». Pour y parvenir, il apprit d’abord le langage gestuel. Mais comment ? La rencontre entre l’abbé et les sourds est légendaire. L’histoire raconte que, pour échapper à la pluie, il entre fortuitement dans une maison où se trouvaient malheureusement ou heureusement deux sœurs jumelles sourdes-muettes. Notre abbé est merveilleusement séduit et frappé par la facilité avec laquelle les deux sœurs échangeaient et se comprenaient. Il décida alors d’apprendre ces gestes auprès d’elles. Après l’apprentissage de ce langage gestuel, il se jeta corps et âme dans l’éducation des sourds. Il acquit beaucoup d’expérience au contact des enfants sourds inscrits dans son école. Il écrit et publie en 1776, son premier ouvrage intitulé : « Institution des sourds-muets » dans le quel il qualifie le langage gestuel « des signes méthodiques ». Ce fut une bombe qui provoqua à sa grande joie une polémique avec les enseignants français notamment les oralistes. Bref, abbé de l’Epée a offert à ses élèves, la possibilité de transcrire des passages même complexes en français écrit. La démonstration qu’il fit avec ses élèves sourds de 1771 à 1774 firent beaucoup d’effets à Paris. Les éducateurs et les célébrités venus exprès de toute l’Europe repartirent convaincus que les sourds pouvaient être efficacement éduqués grâce à une méthode gestuelle. L’abbé de l’Epée a réussi à imposer à l’opinion internationale l’idée que les personnes sourdes ne sont ni des idiots du village, ni des chiens savants mais des personnes à part entière comme nous. Deux ans après sa mort, l’Assemblée Nationale française l’a reconnu en décrétant que son nom sera inscrit comme Bienfaiteur grand B de l’Humanité. En même temps que cette reconnaissance, les sourds devront eux aussi bénéficier des Droits de l’Homme. En 1883, c’est-à-dire trois ans après la tenue du Congrès de Milan, une belle statue de l’abbé de l’Epée, œuvre du sculpteur sourd Félix Martin, fut inauguré dans la cour de l’institut de Paris à la mémoire de celui qui était le plus grand défenseur et propagandiste de l’enseignement gestuel.

Le magnifique témoignage de Montaigne sur les personnes sourdes

Le grand penseur Montaigne donne un témoignage très éloquent sur la réussite de l’éducation des sourds. Dans son livre Les essais, il écrit : « Nos sourds-mutes disputent, argumentent et content des histoires par signes. J’en ai vu de si souples et formés à cela qu’à la vérité, il ne leur manque rien à la perfection de se savoir faire entendre ».

Querelle entre oralistes et gestualistes replongent les personnes sourdes dans une situation désagréable.

Après la mort de l’abbé de l’Epée, ses successeurs prirent la relève. Ce qui a fait qu’à partir du 19ème siècle, la culture sourde a connu une terrible floraison. Mais très tôt, éclata la querelle au sein même des professeurs des sourds. Il s’agit des oralistes, c’est-à-dire les professeurs qui concentraient uniquement leur enseignement sur la parole forçant ainsi les sourds à articuler des mots et les gestualistes qui basent leur enseignement sur la culture des sourds et la langue des signes. L’Etat s’en mêle puisque le retour à l’oralisme pur est dans la logique des prétentions du 19ème siècle sur toute l’Europe et faisait partie des priorités de reformes administratives éducatives. C’est ainsi que le gouvernement français appuya les oralistes à travers l’organisation du Congrès de Milan qui a fait sonner définitivement le glas des oralistes.

Le Congrès de Milan enterre la langue des signes en Europe

Les oralistes français et italiens avaient préparé un programme destiné à convaincre les éducateurs entendants sur l’utilisation exclusive de la parole. Deux jours avant la tenue de ce Congrès, les délégués assistaient chaque après-midi à des démonstrations toutes réussies de l’éducation orale des sourds. Le seul délégué sourd, un américain écrit :

« Il était clair qu’il y avait eu une préparation minutieuse, de nombreuses répétitions et une organisation très poussée afin de produire l’effet le plus frappant ».

Un autre observateur ajoute :

« Très souvent, les élèves questionnés commencèrent leurs réponses avant que l’examinateur ait achevé sa question. De toutes les façons, les jeux étaient déjà faits d’avance. Le Congrès de Milan fut à l‘évidence monté comme une véritable machine de guerre franco-italienne contre l’éducation gestuelle. A l’institut de Paris par exemple, on avait percé dans les portes de petites lucarnes pour voir sans être vu, si es élèves sourds entre eux faisaient des gestes. On avait brûlé et caché la plupart des d’enseignement gestuel. Les professeurs sourds étaient chassés et de quelle élégante manière !

« À la distribution des prix du 8 Août 1887, M. le Directeur, dans une improvisation, a adressé quelques paroles d’adieu aux cinq professeurs sourds-muets admis à faire valoir leurs droits à la retraite, par suite de la suppression absolue du langage des signes comme procédé d’enseignement : ‘’Aujourd’hui même, la mimique sortira de cette institution pour n’y plus rentrer et la parole y règnera désormais seule. Un long passé se clôt, une ère nouvelle s’ouvre… Semblable au chirurgien qui remplace la jambe perdue de son patient par la jambe de bois, nous suppléons à la langue naturelle absente par une langue artificielle donnée. Les jambes de bois ne courent pas comme les jambes naturelles. Encore rendent-elles quelques services. Il en est de même de la parole enseignée aux sourds-muets… Ce n’est pas sans un serrement de cœur, je le dis au nom de toute la Maison, que nous verrons descendre de leurs chaires, des hommes comme MM de Tessières, Théobald et Dusuzeau, comme M Trunc , notre dévoué professeur d’écriture, comme M. Simon, notre excellent surveillant général… »

Les initiateurs du Congrès de Milan ont gagné la bataille mais pas la guerre

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La conséquence immédiate du Congrès de Milan est la méconnaissance de la langue des signes par la nouvelle génération.

La génération fanatique qui avait imposé l’interdiction formelle de la langue des signes a transmis le message à des générations successives d’enseignants coupés de tout contact avec la communauté des sourds adultes, considèrent les « gestes » comme une pratique ancienne, insuffisante et agressive qui empêche les enfants sourds d’apprendre la parole. Ils transmettent ainsi à leurs élèves sourds un sentiment de dégoût pour les « gestes ». Les sourds qui n’arrivaient pas à bien parler étaient considérés comme des personnes « ratées ». Les parents ignorent tout du monde des sourds et s’en remettent à la compréhension des éducateurs. Ils suivent les consignes d’interdiction de l’usage de la langue des signes ; ce qui revient à dire que ces parents prennent position contre leurs propres enfants, qui du fond de leur cœur, savent qu’ils ne peuvent se passer de leur langue et ne ratent aucune occasion même clandestine pour échanger en langue des signes.

La langue des signes échappe à l’Europe au profit des Etats-Unis

Le malheur des uns, fait le bonheur des autres. Pendant que l’Europe et la France nourrissaient une haine viscérale pour la langue des signes jusqu’à brûler les documents qui traitent de l’éducation des sourds, jusqu’à interdire son usage sur le continent et jusqu’à congédier sans foi ni loi tous les enseignants pour sourds, les Américains qui n’en demandaient pas plus, bondissent sur l’opportunité. Le révérend Thomas H. Gallaudet qui cherchait des méthodes d’enseignement des sourds dans le but de créer la première école américaine pour sourds descend précipitamment à Paris en 1816. Il repart avec Laurent le Clerc, un célèbre professeur sourd, précédemment congédié. L’Amérique mit tout à la disposition de Le Clerc. Celui-ci installa un enseignement adapté du modèle français. Certes, les sourds américains faisaient des gestes avant l’arrivée de Le Clerc, mais les mieux éduqués à partir de 1820 furent ceux qu’il avait formés. Il devient ainsi le premier professeur en langue de signe aux USA. Après le Congrès de Milan, les Américains ont beaucoup investi dans l’éducation des sourds. Aujourd’hui, la meilleure université et les meilleures écoles pour sourds du monde se trouvent aux États-Unis. Les meilleurs documents sur l’éducation des sourds sont réalisés par les États-Unis. La langue des signes la plus parlée et la plus développée à travers le monde est celle des Américains (ASL). La belle preuve est que toute l’Afrique même francophone reste dominée par ASL.

Le mea culpa de l’Europe et le retour à la langue des signes

Au 6ème Congrès de la Fédération Mondiale des sourds tenu à Paris en 1971, les français ont pris conscience de la richesse et de l’efficacité des traductions simultanées en langue des signes. On arrivait à faire comprendre aussi bien aux entendants qu’aux sourds de tous les pays participants, les différentes interventions du Congrès. Les français découvrirent les merveilles des « gestes » internationaux, c’est-à-dire américains pratiqués entre les sourds de tous les pays présents. L’effet fut frappant encore lorsqu’on vit les discours les plus techniques traduits intégralement et en détail en langue des signes. De retour en France, entendants et sourds ont plus que jamais décidé de relever le défi.

En 1975, s’est tenu le Congrès suivant de la Fédération Mondiale des sourds à Washington. Ce Congrès a définitivement convaincu ceux que le Congrès de Paris avait ébranlés. Ici, les français ont découvert le développement social et intellectuel des communautés sourdes américaines. Ces communautés sont soutenues par un corps d’interprètes professionnels .Retournés au bercail, les français présents à ce Congrès ont suffisamment d’arguments pour que la langue des signes retrouve ses lettres de noblesses.

Effectivement, dans les années 1990, le pays de Nicolas SARKOZY a reconnu la langue des signes et court aujourd’hui après une langue des signes propre à elle.

Reconnaissance officielle de la langue des signes par pays, l’Afrique au contact de la langue des signes

C’est grâce à un Afro-Américain, son Excellence Dr Andrew FOSTER Senior que les premières écoles pour sourds furent ouvertes en Afrique de l’ouest, précisément au Ghana puis au Nigéria.

Devenu sourd à l’âge de 11 ans cause d’une méningite cérébrospinale, Andrew FOSTER lutta courageusement contre son sort et parvint jusqu’au célèbre Gallaudet Collège à Washington, devenant ainsi le premier noir de cette auguste institution. Il en sortit Master of Arts (MA).

FOSTER dont les parents sont chrétiens reçut aussi une solide formation chrétienne. C’est alors qu’il a commencé à penser à penser à ses frères sourds d’Afrique noire qui sont sans éducation.

En 1955, il fonda la Christian Mission for the Deaf African (CMDA) dont le but, comme son nom l’indique, est avant tout d’apporter l’Évangile de Christ aux sourds. FOSTER débarque au Ghana en 1957 et y ouvrit la première école pour sourds à Accra. La même année, il en commença une autre à Lagos au Nigéria.

À partir de 1975, il ouvrit un centre de formation pour les enseignants de sourds à Ibadan. En 1976, le Centre sortit sa première « fourrée » d’enseignants de sourds venus de : Togo, Bénin, Côte d’Ivoire, Sénégal.

Puis, chaque année sont reçus d’autres récipiendaires venus du Burkina Faso, Gabon, Zaire, Congo, Mali Burundi, Guinée, Niger, Cameroun. Les pays anglophones ne sont pas de reste. On y rencontre le Liberia, la Sierra Léon, la Zambie, le Kenya, le Zimbabwe, et l’Éthiopie. En 1987, pendant sa tournée annuelle, FOSTER nous quitta brutalement, dans un accident d’avion au Zaïre. Il laissa une veuve et cinq enfants dont une fille.

L’Éducation des sourds au Bénin

La première école pour sourds du Bénin s’appelle École Béninoise pour Sourds (EBS). Elle a été créée en 1977 par le même Andrew FOSTER. Cette école fut logée dans les locaux du Centre d’Enseignement Ménager à Gbéto- sud en plein centre de Cotonou. Les sept premiers élèves de la première promotion étaient encadrés par un instituteur de carrière et un sourd, tous deux formés à Ibadan en 1976.

Cette école est transférée à Vèdoko. Elle est restée seule et unique école pour sourd au Bénin pendant vingt ans avant que quelques initiatives privées créent d’autres écoles pour sourds comme celles de Sènandé à Cotonou, de Parakou, de Bohicon et de Porto-Novo.

Aujourd’hui, le Bénin dispose non seulement de plusieurs écoles primaires et maternelles pour sourds mais aussi d’un collège à Porto-Novo où le sourd peut poursuivre ses études jusqu’à obtenir son baccalauréat.

Comme toute langue, la langue des signes a aussi connu des hauts et des bas avant de s’imposer comme une langue à part entière.

Paul AGBOYIDOU