Né le 21 mars 1972 à Porto-Novo, je suis marié, père de quatre enfants. Après mes études primaires et secondaires à Abomey, j’entrepris des études de droits à l’Université Nationale du Bénin et obtins le dipl1ome de la capacité en droit (CAPA II) après quoi, je me suis inscrit en Sciences juridiques où j’ai eu la licence, option Droit des Affaires et Carrières.
Pour mieux faire face a mes nouvelles fonctions (je venais d’ouvrir une école de sourds), je me suis une fois encore inscrit à l’université Nationale du Bénin pour un DUEL en psychologie et sciences de l’éducation.
Mais bien avant la fin de mes études, je m’étais fixé comme objectif principal de lutter contre le malheur dans lequel étaient plongés les handicapés en général et les sourds en particulier étant donné que je suis moi-même affecté par cet handicap.
En effet, mon premier fils étant devenu sourd à la suite d’une fièvre typhoïde, l’idée avait germé en moi de tout mettre en œuvre pour alléger, non seulement son handicap, mais aussi celui de tous les enfants frappés par ce malheur. Pour atteindre mes objectifs, il fallait que je les inscrive dans une structure légale et petit à petit, parvenir à gagner la confiance de certains partenaires sensibles et prêts à m’appuyer. Car, je ne m’imaginais pas en train de réussir tout seul cette noble mission que je m’étais assignée. Une association était donc tout à fait indiquée pour moi.
Cette idée projetée et fortement soutenue par mon épouse Florida, vit le jour avec le soutien de quelques amis. C’est ainsi que les documents fondamentaux de l’association furent rédigés, amendés et adoptés selon les règles de l’art. Par la suite, ASUNOES a rempli toutes les formalités d’enregistrement et de journal officiel, ce qui permet de tout faire en parfaite légalité.
Au prime abord, j’imaginais cette association comme une structure de recherche de fonds pour venir en aide aux sourds ou aux écoles spécialisées dans ce domaine afin de rendre efficient leur travail sur le terrain, travail qui revêt pour moi une grande importance parce que permettant aux sourds de communiquer et donc de pouvoir plus tard se soustraire à un certain état de dépendance, voire participer à la vie économique.
Le rôle de L’ASUNOES en tant qu’association œuvrant pour l’épanouissement des sourds, la promotion et la défense de leurs droits, pouvait en ce temps-là se résumer en un rôle d’intermédiaire pour la promotion de leur éducation, pour leur prise en charge par les structures existantes et à la limite pour des plaidoyers en direction des autorités en vue de l’érection de certaines lois en leur faveur.
Mais ce rôle d’intermédiaire a en moi tôt fait de trouver ses limites au fur et à mesure que je me suis investi dans ma lutte aux côtés des sourds. Par rapport surtout à leur éducation, je demeurais quelque peu sur ma faim.
Ensuite, ayant pénétré le milieu, j’ai constaté que ce qui se faisait était loin de leur assurer l’éducation qui allait leur permettre de se prendre effectivement en charge plus tard.
De plus, rien n’était fait à l’endroit des parents qui, pour la plupart, n’étaient pas informés de l’existence d’une école, encore moins de la possibilité pour des sourds de recevoir une quelconque éducation.
La grande majorité des sourds étant dans des milieux ruraux, l’école des sourds demeurait jusque là l’apanage d’une certaine classe et non à la portée de tous les enfants sourds. Ce sont là les raisons qui m’ont motivé et m’ont poussé à créer une école des sourds dans la capitale administrative de mon pays le Bénin.
Il faut avouer que la création de cette école n’a pas du tout été chose facile.
La créer dans le but d’atteindre les objectifs fixés m’avait obligé à l’installer dans une zone rurale. Difficile surtout parce qu’aucun financement n’existait pour ce genre d’activité. Il a donc fallu que je transforme mon salon en salle de classe et ma maison en internat pour abriter les premiers élèves de mon école de sourds.
Et comme une école nécessite forcément des enseignants, j’ai dû moi-même me résoudre à prendre des cours de la langue des signes en même temps que continuer mes études supérieures et encadrer les élèves de l’école des sourds que je venais de créer à Porto-Novo.
Le plus dur, c’était d’arriver à nourrir certains des enfants dont les parents n’étaient pas du tout convaincus par mon projet et qui de ce fait revenaient complètement à ma charge. En effet, je passais de longs moments à discuter avec certains parents avant qu’ils ne m’accordent la faveur de laisser leurs progénitures venir à mon école qui du moins n’était pas très convaincante vu sa situation géographique du moment.
Cette situation s’est par la suite améliorée quand l’école a été transférée au centre des scouts de Porto-Novo, et ensuite à Louho sur un terrain nu offert par un couple généreux. C’est vrai qu’au départ, aller dans ce coin reculé de Louho où il n’y avait presque personne nous donnait un peu de soucis mais comme cela correspondait parfaitement à nos objectifs qui consistaient à nous rapprocher des populations, il fallait sauter sur l’opportunité. D’ailleurs, nous n’avions pas d’autres solutions. Progressivement, l’école a pu s’installer après les premiers travaux provisoires sous le regard ébahi des populations qui se demandaient à quoi cela pouvait aboutir. À peine ne me prenait-on pour un fou. Il faut avouer que cette idée que les gens avaient de moi au départ dans la localité n’a pas duré parce que j’ai vite fait de les convaincre à inscrire leurs enfants dans cette école. Mais il restait toujours le problème des frais de scolarité. L’association faisant son bonhomme de chemin, ses activités parvenaient déjà à convaincre quelques rares partenaires qui alors se décidèrent à investir de façon ponctuelle, question de voir ce que cela donnerait.
Au fur et à mesure que l’école se faisait découvrir, je mettais l’accent sur la formation en langue des signes. J’étais en même temps le directeur exécutif de l’association et le directeur de l’école. À ce titre, j’étais chargé de la formation des nouveaux enseignants en langue des signes et en pédagogie étant donné qu’ils n’étaient pas tous des enseignants de carrière.
Au fil des jours, s’est fait ressentir la nécessité de ne pas se limiter à l’éducation standard au cours primaire. C’est alors que j’ai initié d’autres formation pour contenir les moins doués qui n’étaient pas capables de continuer les études.
Ce bloc créé prit d’abord le nom de CAEFS (Centre d’Accueil, D’éducation et de Formation des sourds). Au CAEFS on mettait déjà l’accent sur la diversité des métiers pour offrir aux sourds un éventail assez large de possibilités. Mais c’est vrai que si l’éducation vue dans le sens de la scolarisation et de la formation professionnelle pouvait permettre au sourd de se prendre en charge plus tard, elle paraissait néanmoins insuffisante. Car les sourds, s’épanouiraient davantage s’ils pouvaient très tôt apprendre à vivre dans un milieu pareil à la société, c’est-à-dire avec des entendants.
Cette idée, ayant germé, a été à la base de la création du CAEIS.
Le CAEIS est unique en son genre et est aujourd’hui une réussite qui fait la fierté de l’Afrique en général et du Bénin en particulier. Au départ, l’expérience a connu quelques difficultés à cause de la réticence des parents à envoyer leurs enfants entendants étudier avec les sourds. Grâce à une bonne sensibilisation, on a démontré aux parents qu’il n’y a aucun inconvénient à intégrer les sourds de cette façon.
Progressivement et toujours grâce à des partenariats, le centre de Louho a changé de physionomie. Des modules de salles de classe ont été construits. Au total, aujourd’hui, nous disposons d’un grand bâtiment à trois niveaux pour un total de douze pièces.
Actuellement, nous prenons une part très active dans le PASEB (Programme d’Appui au Secteur de L’Éducation au Bénin) puisque c’est à notre centre qu’est confié le volet surdité de ce programme initié par la DENIDA et notre pays le Bénin. Le PASEB s’exécute dans les neufs communes du département du Zou. Faudra-t-il le rappeler, ce programme entre en droite ligne dans l’accomplissement de nos objectifs qui demeurent l’épanouissement et l’intégration des enfants sourds.
ASUNOES est membre de L’unité de Gestions de la sous-composante ISEH (Intégration Scolaire des Enfants Handicapés) de ce programme. Par le biais de ce projet, beaucoup d’enfants sourds ont été intégrés dans des écoles publiques ordinaires de leur localité et le projet suit son cours. Beaucoup d’enseignants, conseillers pédagogiques et inspecteurs des neuf communes du Zou continuent de recevoir une formation en langue des signes à cet effet.
Du point de vue pédagogique, j’ai initié des partenariats avec des écoles étrangères, d’abord pour comparer, et ensuite pour m’enrichir des expériences des autres. Ces partenariats continuent de porter leurs fruits. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils m’ont permis de renforcer mes capacités dans divers domaines surtout en langue des signes et en pédagogie d’enseignement aux élèves sourds. Chaque année des formation sont organisées au profit des enseignants du centre.
Tout ceci a fait de moi une référence sur le plan international. Partant, mes compétences ainsi que celles de mes collaborateurs sont mises à contribution former des enseignants en ASL (American Sign Language), en pédagogie des sourds et sur le concept de l’intégration. À ce sujet, le modèle béninois est toujours cité en exemple. Aux assises internationales relatives à l’éducation des sourds, je suis souvent coopté à la tête des commissions de travail. Actuellement, des chercheurs et responsables de centre d’éducation des sourds des autres pays d’Afrique et moi travaillons sur l’harmonisation de la langue des signes, ce qui pourrait aboutir à une langues des signes spécifiquement africaine.
J’ai créé la Fédération des écoles de sourds du Bénin et organisé sous ce couvert des formations pour les enseignants de toutes les écoles de sourds du Bénin en 2001 et 2003.
Une fois encore, je continue de nourrir de grandes ambition dans ce domaine. La langue des signes répondant à une certaine dynamique, il urge d’asseoir un centre de recherches en pédagogie et en langue des signes afin que cette dernière suive l’évolution de nos langues locales. Un centre de recherches de cette envergure ferait du Bénin une référence au niveau de l’Afrique tout entière. Mais en attendant, j’ai déjà commencé par initier certaines recherches qui ont abouti à :
Je ne saurais finir sans parler de l’impact de l’installation de l’ASUNOES dans la localité de Louho. Les populations en sont tellement fières qu’elles viennent nous poser d’autres problèmes relatifs aux sourds. Dans la mesure de mes possibilités, j’essaie d’apporter certaines solutions. Ainsi, grâce à l’ASUNOES, la localité bénéficie aujourd’hui de l’extension de réseau électrique.
La confiance de la population m’a valu d’être l’actuel Président de l’association de développement de Louho.
L’analphabétisme est un fléau qu’il importe de combattre jusque dans son dernier retranchement. Notre pays gagnerait beaucoup à investir dans l’éducation de toutes les couches sociales quelles qu’elles soient afin de valoriser les nombreuses potentialités emmurées dans le mutisme permanent. L’exemple des sourds est très illustratif de l’utilité de la communication aussi bien sur le plan social qu’économique. Cette expérience qui ne fait que commencer à mon niveau me permet d’affirmer qu’effectivement, « le sourd peut tout faire sauf entendre ».
Raymond Dodo SEKPON