Dans le contexte du développement durable et de la réduction de la pauvreté, le concept de l’éducation ne saurait être séparé de la notion des besoins fondamentaux de la personne et de la société. Ainsi, les grandes instances mondiales la reconnaissent comme un élément fondamental dans la réalisation du développement. Le sommet mondial de Jontien et le cadre de concertation de Dakar ont, chacun en ce qui le concerne, re-précisé le droit à l’éducation et sa généralisation à toutes les couches sociales sans distinction aucune. Mais le concept d’intégration a fait écho pour la première fois à la Conférence de Salamanque en 1994. Cette Conférence s’est beaucoup plus appesantie sur la scolarisation des enfants à besoins spécifiques en général et les handicapés en particulier. Il sera désormais question que les enfants handicapés, toute catégorie confondue, soient inscrits dans les écoles ordinaires de leur localité.
Comment adapter la nouvelle vision d’intégration en vogue à l’école de Louho créée uniquement pour accueillir les sourds?
Voilà la question qui nous a hantés pendant longtemps. L’objectif qui sous-tend la création de cette école étant de favoriser l’épanouissement scolaire et socioprofessionnel des sourds et défendre leurs droits et lutter contre la surdi-mutité, cette couche défavorisée par la nature nécessite une attention particulière en raison même de la complexité de la pédagogie appliquée à ce type d’apprenant. Nous aurions commis donc la pire des bêtises en les « déversant » purement et simplement dans les écoles ordinaires où les enseignants ne sont pas du tout formés pour. Que faut-il faire dans ce cas ?
C’est alors qu’en 1997, nous avons osé une approche qui fait aujourd’hui la fierté du Bénin dans le monde entier. Il s’agit d’une intégration en sens inverse qui consiste à promouvoir et à encourager l’inscription des enfants entendants du quartier et surtout des frères et sœurs de nos élèves sourds. Sourds comme entendants sont alors accueillis dans la même classe, sur le même banc. Ils ont un seul enseignant qui utilise simultanément le français oral et la langue des signes pendant la situation d’apprentissage afin que tous soient au même niveau de formation et d’information. Bref, il s’agit de créer les mêmes conditions de travail à tous les apprenants. L’intégration étant par définition une opération par laquelle un individu ou un groupe s’incorpore à une collectivité ou à un milieu, nous pensons que le sens importe peu. L’école change de dénomination et devient École Intégrée des Sourds CAEIS (Centre d’Accueil d’Éducation et d’Intégration des Sourds). À nos débuts en 1997, cette nouvelle idée a essuyé une forte résistance puisqu’elle a été violemment rejetée et sévèrement critiquée ; ce qui est d’ailleurs normal car il est dans l’ordre des choses que toute nouvelle idée, que toute innovation fasse objet de réticence et de critique. Vous rappelez-vous cette célèbre affirmation ? « Et pourtant elle tourne », elle, c’est bien sûr la Terre. L’Église catholique et Galilée ont soutenu deux thèses contradictoires sur le mouvement du soleil. L’Église défendait la théorie du géocentrisme qui soutient que le soleil tourne autour de la terre et qu’elle est même au centre de l’univers. Galilée au contraire, soutenait l’héliocentrisme qui affirme que c’est plutôt la terre qui tourne autour du soleil. Puisqu’on ne défiait pas la puissante Église impunément, Galilée a été condamné puis éliminé pour avoir, dit-on, soutenu du faux. Il aura fallu des siècles plus tard, pour que l’humanité se rende effectivement compte que Galilée a raison. Aujourd’hui, cette forme d’intégration semble porter ses fruits.
Les priorités qui selon nous favorisent une intégration réussie :
Pendant environ cinq ans, les choses semblaient ne pas décoller puisque de 1997 à 2001, l’effectif des sourds est resté nettement supérieur à celui des entendants. Malgré toutes nos sensibilisations même par voie de presse, beaucoup de parents étaient restés méfiants et prudents.
Année scolaire 1997-1998 : sourds 36 contre 17 entendants.
Année scolaire 2000-2001 : Sourds 52 contre 25 entendants. Tout bascula à partir de l’année scolaire 2002 où nous avons connu 100% de réussite au CEP. Six sourds et cinq entendants. Depuis 2002, l’effectif des entendants ne fait que grimper jusqu’à dépasser définitivement celui des sourds. Aujourd’hui, le centre compte 379 apprenants : 247 entendants et 132 sourds.
Avec cette approche :
Cette nouvelle approche où les entendants intègrent les sourds, apprennent leur langue et vivent avec eux permet de changer, voire restaurer l’image réelle de cette catégorie d’enfants longtemps discriminée parce que mal connue.
Cette approche a changé la condition sociale et professionnelle de bon nombre de personnes sourdes. Après l’obtention de son Brevet d’Études du Premier Cycle, une malentendante a bénéficié d’un stage de formation en Belgique. Son vœu étant de devenir animatrice à la maternelle et conteuse des sourds, elle a bénéficié d’un stage de formation en Belgique. Aujourd’hui, elle fait la fierté de sa famille et de toutes les filles malentendantes puisqu’elle fait partie du personnel enseignant du Centre. Elle devient ainsi la première sourde béninoise à avoir joui d’une telle formation en Belgique et à devenir animatrice dans une maternelle des sourds. Un autre non entendant, après le Brevet d’Études du Premier Cycle a suivi en Belgique un stage de formation sur l’alphabétisation des adultes sourds. Aujourd’hui, il forme des dizaines d’adultes sourds du Bénin en alphabétisation. Il leur apprend à lire, à écrire et à compter en langue des signes. Une autre malentendante a suivi en Belgique un stage de formation sur l’entretien d’une bibliothèque. La mise en pratique de cette formation lui permet de disposer d’une bibliothèque attrayante donnant ainsi le goût de la lecture à nos élèves. L’existence de ce Centre a amélioré les résultats des sourds à l’examen du CEP. Elle a aussi permis à cette couche de la société d’avoir accès au collège et de passer comme tout élève, le BEPC et le baccalauréat. Grâce à ce centre, plusieurs dizaines de sourds sont déjà admis au CEP. douze sourds déjà admis au BEPC et trois sourds sont détenteurs du baccalauréat. Le Bénin peut donc se targuer d’avoir désormais des bacheliers sourds ; ce qui est très rare sur l’ensemble du continent.
CAEIS est aujourd’hui le seul centre du Bénin qui s’occupe de l’éducation des sourds depuis la Maternelle jusqu’en terminale. Il abrite le seul collège des sourds du Bénin. Il donne des formations en langue des signes et en pédagogie adaptée aussi bien aux nationaux qu’aux étrangers. C’est fort de cette expérience que l’Ambassade Royale du Danemark lui a confié le volet surdité du PASEB- ISEH.
L’expérience d’intégration acquise ajoutée aux différents stages de formation suivis en Belgique, en France et au Bénin dans le cadre de l’éducation des sourds ont fait du CAEIS un Centre de référence dans la sous région.
C’est pour cela qu’en dehors des élèves sourds que le centre reçoit de tous les départements du Bénin, il inscrit également les élèves sourds de la sous-région. On peut citer en exemple les élèves sourds du Togo et de la Côte d’Ivoire.
Ce ne sont pas seulement les élèves sourds de ces pays qui bénéficient de l’expérience d’intégration du Centre. Nous accueillons également des stagiaires enseignants de ces pays. C’est le cas de la Mauritanie.
Plus de cinquante conseillers pédagogiques, enseignants et directeurs ont été formés en langue des signes et en pédagogie des sourds à l’Ecole pour Déficience Auditive de BAMAKO au Mali.
Le Centre d’Accueil d’Éducation et d’Intégration des sourds (CAEIS) envisage d’élargir ses activités à d’autres pays francophones notamment le Sénégal. Ainsi dans les tout prochains mois, les enseignants de l’école la RENAISSANCE DES SOURDS du Sénégal bénéficieront des formations qui seront animées par des formateurs béninois.
Les formateurs belges au Bénin ont qualifié cette expérience d’intégration des sourds d’ « unique au monde » en raison de son originalité. Avec un effectif de 247 entendants contre 132 sourds, tous les élèves, toutes catégories confondues, échangent et communiquent excellemment en langue des signes dans ce centre de Porto-Novo. Ce qui a amené les partenaires belges à déduire qu’il existe au Bénin une très forte potentialité d’interprètes en herbe contrairement à ce qui se passe en Belgique et dans les autres pays d’Europe. Cette expérience du Bénin fortement louée par la partie belge a été diffusée au niveau des structures belges intervenant dans le domaine de la surdité. Et déjà, les partenaires belges promettent d’étudier sa faisabilité chez eux.
Quelle que soit l’approche, l’intégration des sourds a besoin d’être fortement soutenue. C’est pourquoi nous saisissons cette occasion pour dire bravo à l’Ambassade Royale du Danemark et au gouvernement béninois grâce à qui plus de quatre-vingt-dix enfants sourds des neuf départements du ZOU ont pu connaître le chemin de l’école. Nous avons besoin de votre soutien pour étendre la formation de la langue des signes au niveau de tous les enseignants. Cela y va du développement de notre cher département.